José Carlos, un copain péruvien que j’ai rencontré quelques semaines plus tôt à Cuenca, en Équateur, m’invite à passer les fêtes d’indépendance du Pérou à Coina, dans l’hôtel de feu son grand-père Oswald Kaufmann, avec quelques amis à lui ainsi qu’une partie de sa famille. Il me prévient:
– Cet hôtel a eu son âge d’or, il y a une trentaine d’années, il était dans tous les guides de voyage! Mais voilà, depuis que grand-père est mort, l’endroit est resté un peu… comment dire, à l’abandon.
J’accepte avec joie, intriguée de passer quelques jours avec une famille péruvienne et amusée à l’idée de connaître les festivités typiques d’un petit village où aucun touriste étranger n’est venu depuis quelques décennies (Coina n’est même pas dans la carte google, vous pouvez vérifier!).
Nous arrivons donc par un beau matin, en bus, et immédiatement, je constate que le site qu’avait choisit le grand-père de JC (on va l’appeler comme ça, diminutif de José Carlos) est spectaculaire: accroché à flan de montagne, partout où je pose mon regard, je ne vois que des montagnes à perte de vue, des massifs verdoyants aux reliefs bien crantés, des pins centenaires, de superbes palmiers… Et en bas dans la vallée, le petit village de Coina, la vue depuis l’hôtel est tout bonnement magnifique.
À peine avons-nous posé notre barda dans l’entrée que les deux tantes de mon ami foncent sur nous pour nous proposer avec enthousiasme de prendre avec elles le petit déjeuner.
Nous conversons, surtout elles, et petit à petit les langues se délient, elles me parlent de fantômes, de ce jour où l’une a aperçu leur père, le grand docteur Kaufmann mort depuis trente cinq ans, se balader dans le jardin… Je les écoute, fascinée et me demande ce que je vais croiser pendant mes quelques jours ici! Pendant que je savoure mon premier repas depuis plus de 24h (merci les bus, les retards, les impondérables…), mes yeux parcourent l’hôtel avec un mélange d’admiration et de tristesse…. Comme cet endroit a dû être beau autrefois… J’imagine très bien la splendeur au temps du grand-père, un immigré allemand venu au Pérou avec l’idée de bâtir une nouvelle vie, ce jeune docteur construit tout d’abord l’hôtel, puis, juste à côté, un hospital pour les gens de la région avec le meilleur matériel venu d’Allemagne. Un hospital pour tous, pour les plus démunis surtout, grâce aux fonds du Rotary Club Francfurt, connu pour ses dons dans les pays en développement…
Je découvre, éblouie, de jolies allées bordées de pins, aux alentours, des terrasses et dénivelées, des bassins de pierre, un petit pont en granit, un mirador pour les repas, et surtout, une vue impressionnante sur les montagnes environnantes, tout est aménagé avec goût, raffinement mais… les maisonnettes sont délabrées, décrépies, quelques murs sont à moitiés écroulés, les chambres ont été pillées il y a quelques années, il ne reste que quelques lits en fer, aucun ameublement… quel dommage qu’aucun de ses enfants n’ai vraiment eu l’envie de continuer le projet du patriarche.
Une atmosphère étrange se dégage de cet hôtel fantôme où seuls quelques fidèles clients du pays continuent à venir chaque année à la période des fêtes. Le temps s’y est arrêté il y a 35 ans, et les morts qui hantent ce lieu me paraissent plus nombreux et plus présents que les vivants…
Un soir, exténuée, je salue mes amis de bonne heure et vais me coucher. Au dessus de la chambre, je sais juste que se trouve un débarras où l’on peut aller chercher en journée des serviettes et draps propres… Mais à 22:00, plus personne n’y est, et pourtant, j’entends nettement des bruits de meubles que quelqu’un déplace… Mon corps est tout d’à coup envahi d’une frayeur exquise… Oh! Des fantômes rangent leur chambre! Je décrète immédiatement que se sont forcément de gentils fantômes, bruyants certes, mais pas méchants… Ainsi, je finis par m’endormir au son des grincements et frottements sur un vieux parquet en bois… JC me confirmera le lendemain que personne ne dort là-haut… Il décide de me raconter certaines anecdotes, comme la fois où il a clairement vu sa grand-mère assise nonchalamment au bord de la piscine, grand-mère qu’il n’a jamais connu car elle est décédée il y a presque 40 ans!
Chaque jour, quand les premières lueurs de la nuit font leur apparition, la beauté “fanée” de l’hôtel laisse place au frisson, et moi, fascinée par ces êtres de l’au-delà, je me laisse petit-à-petit envoûter par ces légendes d’outre tombe, je crois apercevoir des ombres fugaces passer derrière un arbre, je me sens observée, moi l’étrangère… Et c’est là, un soir, que je la vois… l’ombre blanche dont m’a souvent parlé mon ami… Je frotte mes yeux ébahis, mais oui, je vois nettement une lueur très claire qui rode proche du mur attenant à l’hôpital. Envahie d’un délicieux frisson, je saisis JC par la manche et je lui dis en chuchotant:
-tu vois ce que je vois? Là-bas…
Amusé, il regarde alors dans la direction que je lui montre, mais elle a déjà disparu, moqueuse, elle entretient son mystère… J’aime cette atmosphère fantasmagorique, cet hôtel hanté par des êtres du passé qui ne veulent pas abandonner ce lieu si poétique et autrefois si glorieux… Est-ce le fruit de mon imagination débordante? Pourquoi pas, mais j’adore… L’endroit s’y prête si bien!