Depuis que j’ai commencé mon voyage, je croise sur ma route des personnages qui sont particulièrement touchants. Comme le gentil Ezio, qui me répète plusieurs fois par jour qu’il a 68 ans, qu’il en est fier, et qu’il a décidé de quitter l’Italie, son pays d’origine, il y a plus de 10 ans. Il y a laissé sa femme (pas ex! Attention, nous sommes toujours mariés me précise t’il!) mais il ajoute avec une pointe d’humour:
– on s’entend beaucoup mieux à distance.
Et quelle distance! Il a vécu 8 ans au Costa Rica, avant de se faire escroquer sur une grosse affaire. Il a perdu toutes ses économies, celles de toute une vie… Prévues pour se payer une retraite tranquille. Mais comme il aime me le répéter:
– Au fond ça n’a pas d’importance, tu sais Bénédicte, je préfère ne pas regarder en arrière et vivre sans regret, le moment présent, c’est bien plus riche…
Comme il a raison!
Un jour qu’il passait par hasard à Matagalpa, au Nicaragua, il n’est plus jamais reparti. Depuis plus d’un an, il y vit modestement, grâce à sa maigre pension italienne.
Un soir que nous dînons avec des amis à lui, il me dit, avec un clin d’œil:
– et je suis resté fidèle à ma femme! J’ai beaucoup d’amitiés féminines, mais ce sont des amitiés sans “droit à”.
J’éclate de rire. En effet, en Espagnol, dire: “tengo una amistad con derecho” (j’ai une amitié avec le droit à), exprime les amis qui parfois passent la nuit ensemble, mais sans compromis, juste pour se faire du bien.
Mais malgré ses blagues, ses grands dictons, sa tendresse et son enthousiasme réel pour la vie, je décèle toutefois une tristesse dans son regard, quand plus personne ne le voit, quelque chose de cassé, de gâché… Que t’est- t’il donc arrivé Ezio? Tu as tes secrets, nous avons tous nos secrets, et par respect, je ne remuerais pas les tiens.
Quand il se tourne finalement vers moi, je préfère lui rendre son sourire et le laisser tranquille, nous trinquons ensemble:
-“Au présent!“